"Un journaliste c'est quelqu'un qui travaille dans un journal". Je ne me souviens plus s'il s'agissait des mots exacts, je ne me souviens plus de qui a dit ça. C'était en 2007, je quittais la publicité pour devenir journaliste. Je n'avais aucun réseau ou presque, alors j'écrivais beaucoup aux gens. J'ai fait un genre de petite liste des journalistes que j'aimais et que j'admirais, et je leur ai envoyé un mot en disant voilà, je débute, je ne connais personne, j'aime écrire, si on m'apprend, je pense que je le ferai bien, voulez-vous me rencontrer pour me parler ?
Chez Charlie Hebdo, on m'a répondu, et on bu un café. On m'a dit des choses intelligentes. Des choses que je n'ai pas compris sur le moment. Des mots dencouragement, aussi, alors qu'ils auraient pu avoir autre chose à f... que de se taper des rendez-vous avec toutes les petites connes de Paris en reconversion professionnelle après un congé maternité.
Et puis, avec l'aide de quelques uns, je suis devenue journaliste. Notre génération a cette chance de ne pas exercer le même métier toute sa vie, et de pouvoir réaliser des rêves. Oh, bien sûr, tout le monde a voulu me décourager, "journaliste c'est mal payé", "journaliste ça recrute pas". Finalement, j'ai pu devenir journaliste, à force de travail mais surtout grâce à des gens comme l'équipe de Charlie, parce qu'ils encourageaient et parce qu'ils inspiraient. Je me souviens leur avoir demandé, en gros, s'il y avait des formes de journalisme moins intéressantes que d'autres. C'est là qu'on m'avait répondu, en gros, un journaliste c'est quelqu'un qui travaille dans un journal, qui publie, que ce soit un dessin, un texte, qu'il fasse un reportage au bout du monde ou une chronique acerbe depuis chez lui.
Des menaces, j'en ai eues dès mes premiers articles publiés sur 20 minutes via le Bondy Blog. Quand effarée, j'ai découvert qu'un site d'extrême droite avait publié le nom et l'adresse de l'école de mon enfant, par exemple, en appelant à me traquer. Des mails, aussi. Des lettres écrites et timbrées. J'ai continué quand même. Puis il y a eu Maman travaille, j'ai monté une agence, j'ai été directrice éditoriale d'une agence de presse, et j'ai arrêté de demander une carte de presse.
Je ne dis plus que je suis journaliste, j'ai trop de respect pour ceux qui le sont vraiment. J'écris sur des blogs, je publie des chroniques et des articles sur un site collaboratif, le Huffington Post, et sur le site d'infos Les Nouvelles news, et une fois par trimestre environ, une enquête pour un magazine spécialisé dans l'actualité du Maghreb en Europe - qui reçoit aussi des menaces régulières...
Dans un salon du livre où mon père m'avait emmenée, petite, j'avais eu une dédicace de Cabu sur un livre sur le journalisme. Je ne sais pas où j'ai mis ce livre.
La liberté de la presse est un fondement de la démocratie. Je pleure, je pense à mes amis qui travaillent chez Charlie, je pense à ces mecs et ces nanas géniaux et généreux, ces gens qui faisaient du Journalisme, et je ne sais plus qui m'avait dit: "le journalisme, c'est publier une info ou un avis qui va emmerder ou choquer au moins une personne; le reste c'est du publi rédactionnel."
C'était décousu, mais je ne sais pas comment partager autrement ces bribes d'impressions qui s'estompent avec le temps. Hier au Mans nous étions des centaines dehors, puis à la Mairie, pour se regrouper et se recueillir.
Dimanche, jour du prochain rassemblement, on devait fêter l'anniversaire de ma fille cadette. Je me dis que lui laisser un pays où la liberté d'expression existe, lui offrir la possibilité de devenir journaliste, dessinatrice, chroniqueuse si elle le souhaite, serait aussi un beau cadeau.
Toutes mes pensées vont aux familles et aux proches des dessinateurs, journalistes, agent, chroniqueurs, policiers assassinés.