Mon arrière-arrière grand oncle, Ernest, travaillait à l'usine. Un jour, une scie a sauté et lui a crevé les deux yeux et coupé le bout du nez, comme dans la chanson Pirouette Cacahuète. L'oncle Ernest est devenu aveugle. A vie.
C'était dans les années 30, sa famille était pauvre, et la recherche médicale ne permettait pas d'envisager une greffe à l'époque, alors il a vécu sans ses yeux, avec son demi-nez, et il a continué à couper du bois à l'usine, à l'aveugle, en distingant les planches de bois au toucher.
Mais les années 2010 ne sont pas vraiment différentes... On dénombre de plus en plus de cas d'épuisements personnels, de burn-out, de dépressions sévères, des suicides sur le lieu de travail, de maladies professionnelles...
Je pense aux dos bloqués des caissières de supermarchés, je pense aux infirmiers et aide-soignants de nuit, je pense aux enseignants épuisés nerveusement, je pense aux chômeurs et aux chômeuses qui envoient des CV à la chaîne, je pense aux tendinites des travailleurs/euses sur claviers d'ordinateurs, aux lunettes de vue à force de nuits blanches à travailler sur des dossiers; aux trajets fatigants; je pense aux risques professionnels des femmes enceintes qui travaillent.
Récemment, nous parlions des mères célibataires qui concilient vie privée et vie professionnelle sans l'aide d'un ou d'une conjoint/e. Permettez-moi de citer Erin Brokovitch:
"Comment osez-vous me dire que mon travail, ce n'est pas personnel ? Bien sûr que c'est personnel ! Mon travail, c'est ma sueur, mon énergie, mon attention le soir sur les dossiers pendant les dîners familiaux, et mon temps loin de mes enfants ! Alors ne me redites plus jamais que mon travail n'est pas personnel !"
Alors à chaque fois que j'entends quelqu'un parler du "coût du travail" pour désigner des "charges" en faisant fi de la vraie "richesse" qui crée le fruit du travail, j'ai mal aux yeux; j'ai envie de lui envoyer un colis piégé avec de la sueur, du sang et des larmes; et j'ai envie de l'envoyer travailer un peu dans l'usine de l'oncle Ernest, voir s'il trouve encore que le sang, ça coûte trop cher.
Vagues de suicides: l'analyse d'un médecin du travail